Martin Equihua, journaliste intègre envers et contre tout

Via via, j’ai rencontré Martin, un journaliste qui a décidé de ne pas céder aux pressions de la mafia. Car les journalistes aussi font l’objet de menaces, s’ils dénoncent la corruption, par exemple.

Je ne dois pas dire comment, ni où je l’ai rencontré. D’une part, pour protéger les personnes qui m’ont renseigné. D’autre part, pour protéger son lieu de travail. Très peu de gens savent où il travaille. 

Je vais donc là avec mon intermédiaire, sans dire à personne où je vais. 

Ca me paraît d’abord un peu exagéré, mais quand Martin m’apprend qu’un collègue à lui s’est fait assassiner l’année passée, et que lui-même a déjà plusieurs fois reçu des menaces, je commence à comprendre la gravité de la situation. 

Cette rencontre avait l’air très importante pour lui. Je suis confus de lui apprendre que je ne suis pas venu exprès de Belgique pour m’intéresser à la mafia à Uruapan. Qu’importe, il est essentiel selon lui qu’on parle de ce problème assez méconnu de l’opinion publique internationale. 

La situation est grave. Depuis 475 ans qu’existe Uruapan, jamais la violence n’a été telle. En cause: le trafic de drogue. Les trois grands cartels mexicains tentent d’avoir la mainmise sur l’ensemble du trafic entre l’Amérique du Sud et les Etats-Unis.

Selon Martin, le futur ne laisse présager rien de bon. Enormément de jeunes semblent attirés par le “côté obscur de la force” et l’argent facile et rapide qu’on peut se faire en étant du côté de la mafia. Le côté “officiel” étant complètement pourri et corrompu à tous niveaux: municipal, étatique, fédéral, police, justice. Martin vient justement d’écrire un article dénonçant la situation d’un juge qui a laissé tomber toutes les charges contre un mafioso. Sa fille était victime de harcèlement sexuel…

Un article qui vaudra peut-être des menaces à Martin. Ce ne sera pas la première fois. Des menaces sérieuses, car il arrive régulièrement que des journalistes soient assassinés, ou disparaissent. Suite au meurtre de son collègue l’année passée, Martin est convaincu que le rôle des journalistes (du moins des rares qui ne se gênent pas pour dénoncer la mafia) est de s’exprimer plus que jamais. Il en faudra beaucoup pour qu’il s’arrête, mais il pense quand-même à sa famille. La situation est telle que même son propre frère ne sait pas où il habite !

Il y a quelques temps, la police a déterré une série de corps dans la région, puis les fouilles se sont subitement arrêtées. Lorsqu’il a posé la question dans un article, du pourquoi on ne continue pas ces recherches, il a reçu un e-mail lui demandant de se taire, et de prendre garde à ses fils.

Martin a accusé une patrouille de police d’avoir collaboré à un kidnapping, en faisant en sorte qu’il soit “clean”, c’est-à-dire en étant présente et en contrôlant le bon déroulement des faits. Un e-mail anonyme arrive peu après: “c’est la dernière fois que vous remettez en cause l’autorité”.

Dans mon film de cette semaine, j’ai recueilli le témoignage de l’ami d’une des personnes dont les têtes coupées ont été déversées dans un bar. Une action visant à faire peur. Des gens cagoulés sont entrés dans ce bar avec un grand sac, rempli de plusieurs têtes, qu’ils ont vidé à terre après avoir tiré des coups de feu pour attirer l’attention. Il se fait que Martin a été un des premiers sur place. Il a constaté que la police a mis un temps anormalement long pour arriver, ce qu’il a dénoncé. E-mail: “ne plus parler de cette anomalie”. 

Martin a pris des photos dans ce bar, que la presse locale n’a pas voulu diffuser, par peur de représailles. Seuls des journaux fédéraux l’ont fait. Selon lui, il faut diffuser ce genre de photos – choquantes, il faut bien le dire – afin qu’un maximum de personnes prennent conscience de l’ampleur de la violence. Il me les a transmises. J’ai choisi de ne pas les publier ici, car elles sont difficilement soutenables, et je ne veux pas vous les infliger sans mise en garde. Vous pouvez consulter la plus “soft” en cliquant ici

Martìn Equihua me montre les photos de l’enterrement de son collègue Gerardo Israel. Celui-ci a été tué par balles à Uruapan, il y a moins d’un an, à quelques mètres d’un bureau de police où l’on n’a soi-disant rien vu, rien entendu.
Marie-Michèle | novembre 17, 2008 @ 23:13
Je trouve très nôble que tu publies autant de détails et d’explications quant à la condition au Mexique et ainsi, nous sensibiliser, nous gens de l’extérieur. J’espère que tes actions porteront fruits… Bref, tu auras fait ta part. Attention à toi. MM