I’m proud of you, guys!

– Here we go! I’m proud of you, guys. Good job.

Ca, c’est la chauffeuse du bus qui félicite sa quinzaine de passagers après la douane américaine. Je l’adore. Une dame forte, la cinquantaine, un large menton, de longs cheveux blonds en tresse. Chaque fois qu’elle prend le micro pour faire une annonce, je suis mort de rire. Par contre, les autres ne sourcillent même pas, on dirait qu’ils la trouvent idiote. Moi, elle me fait penser à Calamity Jane, comme dessinée dans Lucky Luke: rude et joviale.

Je l’observe dans le rétroviseur. Quand elle conduit, elle a l’air triste. Je me m’amuse à imaginer sa vie, alors que la nuit tombe. A-t-elle un mari, des enfants ? Qu’est-ce qui peut amener une femme à opter pour un job comme celui de chauffeur Greyhound ? Rouler de nuit, charger et décharger de lourds paquets (Greyhound est aussi un service de transport de colis, la soute est totalement rentabilisée, quand on n’ajoute pas une remorque supplémentaire). Ce qui me plairait, moi, dans ce métier, c’est justemment les annonces au micro. Et puis bien connaître les itiniéraires à force de les faire, et finir par connaître les tenanciers de chaque station service, etc.

Cette femme m’apparait comme un roc inébranlable. Qu’est-ce qui pourrait lui faire perdre ses moyens, le déstabiliser, la révéler ?

– Goddam, my keys! Shit! Shit! I forgot my keys in Bellingham!

Elle refait le tour de ses poches en rugissant. Elle tape du poing sur le volant.

Elle passe alors une série de coups de fil avec son portable. La centrale Greyhound, l’endroit où elle pense les avoir oubliées, et… son fils, pour qu’il vienne la chercher au terminus. Bref, elle gère très bien la situation. Fidèle à l’image que je me faisais d’elle.

Mais elle est énervée. Elle se trompe même de route, ce qu’elle rattrape au prix d’un impressionnant demi-tour subit, sur la route à quatre bandes.

– Sorry, guys, crie-t-elle.

Je me dis que, finalement, ce genre de chose n’arrive pas si souvent, de perdre ses clés.

On est quand-même bien conçus, les êtres humains, pour ne pas oublier tout, partout, constamment. Ca reste exceptionnel. Je suis par exemple depuis plus de trois semaines en voyage, hors du train-train quotidien, et toute la logistique fonctionne comme une mécanique bien huilée.

(à suivre… vous me voyez venir?)