Lucy

Je me rends à Akumal où habite Lucy, mon hôte Couch Surfing. C’est deux heures de bus depuis Cancun, sur une grand route, parallèle à la côte, et à un kilomètre de celle-ci. Tout le long, des entrées d’immenses complexes hoteliers. Les portails rivalisent de grandeur, d’extravagance. L’Arc de Triomphe peut aller se rhabiller ! J’imagine que c’est pour que les clients soient fiers de constater en arrivant qu’ils ont fait un bon choix dans le catalogue de vacances. Je suppose qu’ils ne franchissent ce portail que deux fois: en arrivant et en retournant à l’aéroport. 

Par contre, rien de tout ça à Akumal. Un petit hameau mexicain (c’est bête à dire, mais ça n’a pas l’air courant dans le coin) à droite de la grand route ; des hôtels et restaurants, à échelle beaucoup plus humaine, du côté de la mer. 

Je téléphone du hameau à Lucy. Là, elle n’est pas chez elle, mais elle boit un verre avec des amis, du côté touristique. Elle vient me chercher avec son truck rouge. Une femme fine, pétillante, grande chevelure blonde, en descend. Manifestement pas mexicaine. Présentations faites, elle me dit d’emblée qu’elle boit. – Sorry?! – I drink. – Ah?! Euh. Ok. 

Drôle d’entrée en matière. Nous retournons au café rejoindre ses amis. Deux ou trois couples… d’Américains, qui habitent ici toute l’année. Tous boivent volontiers. Pour passer le temps, qu’ils disent. Car il n’y a rien d’autre à faire, ici. 

Vous êtes sûrs qu’il faut rendre un film cette semaine ? :-S

Je comprends vite le tableau. Beaucoup d’Américains atterrissent ici pour leur retraite, pour les Caraïbes, son ciel bleu, ses palmiers, ses plages de sable blanc. C’est-à-dire ce qu’on nous vend dans les médias occidentaux comme référence absolue de paradis sur terre. Et puis ces gens arrivent, se rendent compte qu’il y a une saison des pluies, et qu’en-dehors des palmiers et des autres Américains, il n’y a pas grand chose d’autre à faire que les happy hours du café de la plage.

Bon, je caricature. Mais il y a de ça.

Nuançons.

Akumal est très différent des dizaines d’autres stations balnéaires de la Riviera Maya. Il s’agit d’un ancien centre de vacances, qui a été offert à une organisation écologique, le CEA (Centro Ecologico Akumal). Celui-ci occupe quelques uns des bâtiments, mais loue les autres à des hoteliers, des restaurateurs, et autres commerçants. Ce qui lui permet des rentrées financières considérables, et donc de développer d’importants projets environnementaux. De plus, cela garantit au lieu de conserver des proportions raisonnables, familiales, sympathiques. 

Les locaux qui travaillent là se sont installés de l’autre côté de la route, formant le “Pueblo”.

Les Américains qui sont venus s’installer ici sont en fait un peu victimes du développement incroyable que connaît toute la région. C’est un peu moins le paradis perdu qu’ils avaient découvert en pionniers il y a dix ou quinze ans. C’est maintenant bourré de touristes, d’autoroutes et de supermarchés. Ce qui n’est pas plus mal quand on vieillit, me confie Francis, un Belge un peu désappointé quand-même.

Lucy, quarante-cinq ans, ancienne pilote d’avion, n’est pas une riche retraitée. Une femme très volontaire, un peu ermite, qui s’est trouvé une vocation en visitant ses parents ici il y a quinze ans. Plusieurs chiens errants tournaient autour de la terrasse où elle mangeait, et elle s’est dit qu’elle devait s’en occuper.

Maman | novembre 19, 2008 @ 2:37 
C’est fatigant un voyage pareil. En plus que tu bouges tout le temps. On est éreintés. C’est peut-être pour ça qu’il n’y a plus beaucoup (plus du tout)  de commentaires sur ton journal. 

J’habite dans une palapa

La propriété de Lucy est à une bonne demi-heure de marche du Pueblo, à travers la jungle.

Bon, voici de nouveau une référence à la télé pas spécialement honorable, mais ma tête s’emplit de souvenirs quand je fais le trajet le premier matin: “Sur la piste de Xapatan”.  🙂

“Au coeur du Mexique, dans l’Etat de Sandwich-Potoci, se dresse un lieu mythique: Xapatan. C’est là que…” et puis je sais plus. C’était l’introduction du jeu télévisé qui a remplacé Fort Boyard sur France 2 le temps d’une ou deux saisons, vous vous rappelez ? Eh bien je ne sais pas si c’est la couleur de la terre, ou de la végétation, la densité de la jungle ou la forme du chemin, mais j’ai complètement replongé dans ce jeu que j’aimais beaucoup étant enfant (mais pas autant que Fort Boyard, bien évidemment  ). C’était présenté par Sophie Davant, vous savez, la petite blonde. Elle pilotait un gros quatre fois quatre, sur lequel se tenaient une demi douzaine de candidats. Le but était de rejoindre une grotte dans la jungle pour y prendre une statue maya, et d’aider la pauvre Sophie à se débarrasser des embûches que les Mayas dressaient sur le parcours du 4×4. Vachement colonisateur, comme synopsis, en fait… 

Ah oui, et les candidats avaient un carquois scratché sur leur dos, qui contenait un harnais de sécurité, indispensable pour faire le deathride à la fin du parcours. Ils ne pouvaient pas continuer avec les autres s’ils le perdaient… Qu’est-ce que c’était tiré par les cheveux ! Qu’est-ce que j’étais naïf ! Et réceptif, pour avoir retenu tout ça… Mais c’est étonnant, quand-même, que tout ça me revienne grâce aux inputs du lieu, euh… quinze ans après, ou quelque chose comme ça. (hé bé !)

Bref, tout ça pour dire que (et faudrait que je pense à renouveler mes formulations) j’ai fait le sentier avec la musique du générique de Xapatan en tête.

Je viens de le retrouver rien que pour vous (mon dieu, l’image que j’en avais en tête était mille fois mieux): 

Ok. No comment. J’étais gosse.  😀

Est-ce que le branché Müvmédia aura cette gueule-là dans 15 ans ? Rendez-vous ici même le 20 novembre 2023 pour en discuter. Je note dans mon agenda Google (vraiment !).

Lucy habite donc une maison qu’elle a fait construire au milieu de la jungle. Elle produit son électricité elle-même, et s’alimente en eau dans une cenote, c’est à dire une des nombreuses grottes du sous-sol de la région, qui est un vrai gruyère. (Un ancien fond marin, en fait. La région a émergé assez récemment dans l’Histoire géologique).

Lucy faisait souvent appel à des Wooffers, ces volontaires américains pour travailler dans des fermes écologiques, etc. Elle a pour eux (ou pour son couchsurfer cette fois-ci) un petit batiment adjacent à sa maison, une palapa. C’est à dire une maisonnette avec un haut toit traditionnel en palmes. Il a le grand mérite de conserver une température acceptable lors des saisons les plus chaudes, mais l’inconvénient de laisser passer les insectes… J’avoue avoir eu un peu de mal au début. Surtout dans les toilettes (sèches, on verse un peu de sciure dans la fosse au lieu de tirer la chasse). Pas agréable de baisser son pantalon entouré de lézards, d’araignées de taille assez respectable, ou encore de gros machins à carapace sombre dont je ne connaissais même pas l’existence. Mais on s’y fait. La moustiquaire autour de mon lit filtre une bonne partie de la population de la palapa. Même si je suis couvert de piqûres en tous genres. A un certain stade, j’arrive à faire abstraction et à me dominer pour ne plus me gratter. Ce que je trouve plus désagréable, par contre, c’est cette atmosphère humide. Mon essuie (serviette, s’il y a des Français qui me lisent), ne sèche pas d’un jour à l’autre. Mon lit aussi est perpétuellement humide. 

L’électricité est rationnée, et je dois bien calculer pour recharger mes appareils. 

Mais quelle expérience. En fait, j’aime bien !

Sans parler des dix-sept chiens. Moi qui ne suit pas un fan, j’ai appris à tolérer !

Trade

Pas beaucoup de distractions le soir, au milieu de la jungle. Lucy, assez cinéphile, a une belle collection de DVD copiés, qui occupent ses soirées. Elle m’en passe quelques uns. Ca a du charme, de profiter de la fin de la batterie qui stocke l’électricité que Lucy produit avec du mazout pendant la journée, puis de la batterie de mon ordinateur, pour regarder un film sous ma moustiquaire, avant de n’avoir plus rien d’autre à faire que de dormir… 

Je suis très content d’avoir ainsi vu “Trade” étant au Mexique. Je regrette seulement de ne pas l’avoir vu à Mexico. En fait, je suis allé à Mexico sans savoir que c’était la plus grande ville du monde, et sans soupçonner la terreur qui règne dans les banlieues immenses (mafias, rapts, drogue, prostitution, …) ! 

Au moins, “Trade” m’ouvre les yeux. Par ailleurs, je trouve que la manière dont est filmée (et montée) la ville dans la scène d’ouverture (ci-dessous) est vraiment fidèle à la réalité, c’est vraiment l’atmosphère que j’ai ressentie. 

Ce film parle de la traite des femmes et enfants au Mexique et aux Etats-Unis. Le tout sous forme de road movie. Inutile de vous dire que j’étais à fond dedans en le voyant ici !

Jour de deadline

Je suis dans ma palapa. Jai décidé de faire mon film sur Lucy. Reste quelques heures pour terminer mon montage. J’ai pas de film, pas d’histoire. Je cherche désespérément une idée pour relever tout ça. Rien. J’en ai marre. Je veux m’échapper. Chaque petite pause, petit prétexte de procrastination passe trop vite. La perspective d’aller remplir ma bouteille d’eau, par exemple, ça me semblait salvateur. Je suis allé remplir ma bouteille d’eau, c’est déjà fait. Bon. Faut se remettre à faire un super film en quelques heures avec un sujet faible et des images faibles… Noooooooooon. 🙁

  C’est qu’un jeu, après tout. J’ai tendance à l’oublier.